Anaïs Gachet
Écrivaine / Rédactrice
Wamunzo ou le temps suspendu
Quand il nous file entre les doigts, c’est qu’il passe trop vite. Comme l’argent, nous le perdons parfois et n’en gagnons jamais assez. Le prendre est un luxe, l’arrêter, une idée folle. Si nous pouvions l’offrir en cadeau, il volerait à coup sûr la vedette au plus précieux des diamants. Mais le temps ne nous appartient pas. Au mieux, il se répand et se danse. Zab Maboungou accompagnée de trois percussionnistes en font la démonstration dans la dernière création de la compagnie Nyata Nyata : Wamunzo.
Aux abords du boulevard Saint-Laurent qui l’a vue naître, la compagnie vient de fêter ses 30 ans. D’aussi loin que Zab se souvienne, ses créations ont toujours été liées au temps. « C’est tout ce que l’on fait dans notre vie : parcourir le temps jusqu’à notre mort. Notre vie, c’est passer du temps […] il nous enveloppe et continue d’être, avec ou sans nous », confie-t-elle. Dans ce sens, Wamunzo s’inscrit dans la lignée de sa démarche artistique, si l’on peut toutefois raisonner en termes linéaires… Tout comme l’est le temps, la chorégraphe, interprète, philosophe et écrivaine aborde la danse de manière plutôt enveloppante et circulaire. « En tant que chorégraphe, mon rôle est de parvenir à capter le temps, même s’il coule. Et c’est là la grande intelligence des tambourinaires, ils appellent le temps et créent des rythmes qui l’articulent », précise-t-elle.
Une approche qui lui vient de cette culture du temps qu’elle porte en elle, mais qui, encore aujourd’hui, s’immisce difficilement dans notre définition de la danse dite contemporaine. Nos sociétés occidentales ont perdu cette perspective du temps et semblent parfois réfractaires à la puissance des tambours et de leur symbolique. Pourtant, l’Occident n’a pas toujours été soumis à cette vision marchande et unidirectionnelle du temps. La chorégraphe le rappelle, « il faut sortir de cette manière de percevoir les rythmes, surtout dans les sociétés occidentales qui ont quitté le tambour. Il n’y a pas d’exotisme là-dedans, le tambour est ce que la majorité des sociétés humaines ont, mais on l’a juste oublié. »
Ses paroles s’inscrivent dans un contexte où les artistes autochtones – dont les cultures considèrent le tambour comme le pouls de l’univers – sont de plus en plus présents sur les scènes du Québec. Nadine St-Louis, fondatrice et directrice des Productions Feux Sacrés, rappelait justement en septembre dernier, lors de l’événement MIAJA, rassemblement des arts et de la culture anicinabek, que « si on ne voit pas un tambour, on ne parle pas du tambour. Si on ne parle pas du tambour, il va être oublié ». Cette plus grande visibilité des artistes autochtones pourrait aussi contribuer à changer le regard étriqué que nous portons sur l’art contemporain, et remettre en question ce que nous qualifions de « folklorique » ou « traditionnel ».
Mais Wamunzo ne s’embourbe pas dans ces questions politiques, réduire la pièce à une œuvre engagée serait s’éloigner de la grandeur du temps qui plane sur nos insignifiantes existences. La réduire en mots également. C’est d’ailleurs ce qui justifie la brève description qui accompagne la pièce. La chorégraphe ne donne jamais trop d’indices aux spectateurs, cela les empêcherait d’être pleinement présents. « J’ai besoin qu’ils soient là, tels qu’ils sont. L’idée de participation est fondamentale pour moi. Même si les conditions théâtrales d’ici font qu’ils sont assis et me regardent, je crée toujours de sorte que les personnes se trouvent participantes, qu’elles s’en rendent compte ou non », explique-t-elle.
Au rythme des tambours, Zab nous invite dans l’intimité du temps qui la traverse. Pour peu que nous y soyons pleinement présents, Wamunzo ne nous fera pas perdre notre temps.
Wamunzo
de Zab Maboungou / Compagnie Danse Nyata Nyata. Les 23 et 24 novembre 2018 à 20 h au D.B. Clarke Theatre, Université Concordia.