Anaïs Gachet
Écrivaine / Rédactrice
Legs poétique
Trace authentique d’un art éphémère, le Projet Héritage pérennise l’œuvre de la poétesse du mouvement Margie Gillis. La chorégraphe de renommée internationale travaille depuis 2014 avec des danseurs du monde entier dans l’optique de transmettre son enseignement, ses créations, mais surtout, la philosophie qui accompagne chacune de ses œuvres depuis maintenant 45 ans.
Plusieurs artistes manifestent déjà leur désir d’être impliqués dans le travail de Margie Gillis quand Alexandra Wells, fondatrice de Springboard Danse Montréal et enseignante à la Juilliard School, soumet l’idée d’un tel projet à la chorégraphe. Celui-ci rassemble aujourd’hui une cinquantaine de danseurs internationaux qui apprennent les méthodes de création de la soliste et appréhendent sa philosophie humaniste. Cela annoncerait-il un départ à la retraite pour Margie? La chorégraphe avoue y avoir brièvement pensé, mais n’en a pas envie. Pour elle, on est artiste toute sa vie. Depuis longtemps, elle souhaite partager son art avec d’autres danseurs. Qu’on se le dise, Margie ne quitte pas la scène.
Dans Évolutions, création issue du Projet Héritage, les danseurs réinterprètent en solo, duo ou pièce de groupe les œuvres de la chorégraphe. Neuf pièces s’enchaînent, dans lesquelles chacun porte et apporte son propre bagage, sa touche unique, pour colorer le langage poétique de Margie. Car c’est bien de poésie dont il s’agit, confie la chorégraphe. « Je cristallise les choses, je n’écris pas un livre, mais plusieurs poèmes. »
Chaque représentation est unique puisqu’elle dépend du lieu et de la disponibilité des danseurs. Des chorégraphies s’ajoutent à chaque spectacle et les pièces se transforment. Le spectateur n’est pas face à une œuvre figée, il devient le témoin privilégié d’une évolution constante, d’un héritage en cours de transmission.
Sur scène se côtoient aussi bien des artistes de la relève, comme Élise Boileau qui ouvre la soirée avec une vibrante interprétation de Bloom (1989), que des artistes confirmés comme Marc Daigle – danseur contemporain depuis 30 ans –, vulnérable et touchant dans The Little Animal (1986). Une approche intergénérationnelle du répertoire de Margie qui permet une mise en perspective de quelques-unes de ses 150 œuvres. Parmi celles-ci, l’emblématique Broken English, interprétée ce soir-là par sept danseurs mi-poètes, mi-guerriers. Certains d’entre eux n’étaient pas nés lorsque Margie la présentait pour la première fois en 1980, et c’est aussi ce qui rend le Projet Héritage pertinent et nécessaire. Il transmet aux nouvelles générations les codes d’une langue pour la pérenniser en l’enrichissant de la perspective d’une nouvelle époque.
L’écoute et l’ouverture sont les clefs de voûte des créations de Margie, qui, à travers ce projet, va au-delà d’une transmission de savoirs et de techniques pour ancrer sa danse dans le patrimoine artistique mondial. Un héritage qu’elle continuera d’enrichir tant que son corps lui permettra de danser. « Avec l’âge, je danse différemment, mais ça m’intéresse aussi de travailler avec cette sagesse », déclare-t-elle. La chorégraphe a d’ailleurs révélé qu’elle préparait un projet avec la Paul Taylor Dance Compagny à New York. À suivre…
Évolutions
Présentée par le Projet Héritage de Margie Gillis et le Conseil des arts de Montréal en tournée. Chorégraphie et interprétation : Margie Gillis. Interprétation : Élise Boileau, Marc Daigle, Kim De Jong, Anne Bruce Falconer, Lucy M. May, Dorian Nuskind-Oder, Susan Paulson, Alisia Pobega, Caroline Sicard, Neil Sochasky. Prochaines représentations le 1er novembre au Centre culturel de Notre-Dame-de-Grâce (complet), le 17 novembre au Centre Léonardo da Vinci et le 14 février au Théâtre Desjardins.